Philippe Lavialle
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  Entretiens photographiques avec Paul-Noël de Véga
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Qui est Paul-Noël de Véga ? Né le 24 décembre 1944 dans une petite bourgade de l'Est de la France, il porte alors déjà un nom prédestiné ! En fait, c'est un homme de l'ombre, discret, presque effacé, mais direct et parfois cassant. Poète à ses heures depuis sa prime jeunesse, il est surtout philosophe. Mais, philosophe méconnu depuis presque un quart de siècle, car il a toujours désiré rester à l'écart du remue ménage de ce monde turbulent. Acharné combattant des débats conventionnels et des philosophies de salons, il revendique une approche simple et rationnelle pour ne pas dire pratique de la philosophie. Ardemment opposé à la référence et à la citation (rhétorique), il défend la libre pensée et l'acte juste et ne publie aucun écrit. Il est en cela une sorte de Diogène des temps modernes, cherchant inlassablement à l'écart, dans les recoins de notre époque troublée, l'Homme Conscient qui ouvrira grandes un jour, les portes de l'ère nouvelle qui s'annonce déjà à lui. Mais Paul-Noël de Véga est également un homme de l'art et de la communication directe. Inconnu des médias, il le restera assurément longtemps encore, par discrétion, mais aussi par choix et par philosophie personnelle...

Les entretiens avec Paul-Noël de Véga ne sont pas choses récentes. Nous les avons entrepris de façon informelle depuis déjà bien longtemps. Ce qui l'est par contre, c'est notre volonté d'en offrir une part au public au travers de ce médium populaire et ouvert qu'est internet. Le choix, quant à lui, d'ouvrir une réflexion sur la photographie, était donc tout trouvé pour ce site, quand il s'est agi de vous faire rencontrer un homme qui se passionne pour cet art qu’est la photographie depuis déjà de très nombreuses années...

Ph.L.

Entretien N°1 

- P.L. : J'aimerais, pour débuter ces entretiens, entrer dans le vif du sujet et vous poser une première question photographique si vous le voulez bien.
Puisque les nouvelles technologies numériques émergent de plus en plus souverainement dans notre vie quotidienne et particulièrement en photographie, pensez-vous que les anciennes technologies dites argentiques doivent forcément se trouver opposées aux technologies issues des ordinateurs - voir être remplacées - ce qui semble être quelque peu la tendance actuellement ?

- P.N.V. : A regarder les apparences, car je ne suis pas devin, je vous répondrais oui, nous constatons des oppositions entre argentique et numérique en photographie actuellement. Mais, presque exactement comme cela a été le cas voici un peu plus d'un siècle déjà, entre la gravure et la photographie, à l'avantage de la photographie à cette époque là. La gravure a toutefois survécu. Elle a même fait beaucoup mieux que survivre, elle a changé de statut. Et cela est très important, nous y reviendrons.
Donc, pour vous répondre honnêtement, je dirais qu'avec le temps va apparaître une forme de complémentarité et que des spécificités vont naître entre les deux médias : l'ancien et le nouveau. C'est d'ailleurs déjà très souvent ce qui se passe actuellement. Mais je ne pense pas que la photographie argentique doive désarmer complètement. Car - à l'image de la gravure il y a un siècle - elle aussi est en train de changer rapidement de statut et de s'adapter pour trouver sa place. Elle est déjà entrée au musée depuis quelques années. Ca, c'est une première reconnaissance de son nouveau statut. Mais les prémices sont diverses à ce sujet. Notons que parallèlement à cette montée en puissance de sa reconnaissance artistique et de sa notoriété, nous risquons d'assister très prochainement à une dévaluation et à une dévalorisation rapide de ses anciennes fonctions : photo journalisme, photo publicitaire, mode, reportage, reproduction, etc.
Car, en réalité, tout ce qui a fait la notoriété de la photographie - un peu à son encontre, il faut bien le dire - est représenté là, dans ces anciennes fonctions qui lui sont retirées. Vous l'avez déjà observé bien entendu, c'est en réalité par la représentation des faits, des lieux, des personnes ou des objets..., que la photographie s'est répandue de par le monde et a trouvé une telle reconnaissance, un tel engouement. Mais maintenant, la photographie va pouvoir se débarrasser efficacement de cette pesante et j'oserais dire, dangereuse approche qu'elle avait du monde au travers de la représentation. Voyez-vous ce que je veux dire ?
En réalité, la photographie a été vécue de façon un peu monolithique depuis sa naissance. Et cette façon monolithique a été celle de la représentation du réel, d'un réel que nous pourrions d'ailleurs parfois presque penser imaginaire, parce que la photographie ne représente pas le réel tel qu'il est en vérité. Mais, aujourd'hui, la photographie parait beaucoup plus ouverte et diversifiée que ce qu'en ont laissé généralement transparaître les utilisations du siècle passé (je veux dire du dix-neuvième siècle), principalement en France ! Elle est diverse, bien évidemment, aux vues des exemples multiples et très vivants qu'elle nous a tout de même offert ou qu'elle nous offre maintenant. Et cela, dans de nombreux domaines, au travers de la palette immense et si riche des représentations et des créations d'artistes photographes... Je pense à des artistes comme Bill Brandt, Edwards Weston, Mann Ray qui ont été parmi les grands précurseurs du regard, mais aussi à Arnaud Claass, Hervé Rabot, pour être plus actuel et ne citer que ces deux là. Car ils sont nombreux ces artistes - tout particulièrement en France - que nous avons eu la chance de découvrir depuis de très longues années, grâce aux galeries et musées. Et souvent au travers de choix très judicieux, comme ceux effectués à Paris par exemple, par Jean Claude Lemagny, à la BN… Et je pourrais en citer quelques-autres aussi passionnants et réfléchis.

- P.L. : Oui. Donc, nous pouvons imaginer que la photographie traditionnelle va maintenant s'attacher à des domaines moins commerciaux et donc moins mercantiles. Mais, n'y a-t-il pas d'autres dangers plus immédiats. Car, la photographie est un médium très technologique, donc fragile (ce qui n'était pas le cas de la gravure). Et si demain, les grands fabricants décidaient, pour des raisons commerciales, des raisons de rentabilité purement économiques ou boursières, de ne plus fabriquer certains produits ou encore plus grave, de ne plus produire certaines émulsions très performantes (ce qui vient d'ailleurs d'être le cas dernièrement dans une grande marque, pour une émulsion papier mono grade très spécifique), qu'adviendrait-il de la photographie, qui somme toute, a évolué vers de très hauts niveaux techniques, technologiques et scientifiques jusqu'à aujourd'hui ?

- P.N.V. : Vous avez entièrement raison, en effet. Il faut que les grands fabriquants se rendent compte - au moins pendant le temps de la mutation, j’allais dire de la maturation, qui est le temps des modes passagères, des instabilités - qu'ils doivent organiser un soutien efficace, stabilisateur pour la photographie argentique, hors de toute visée mercantile. J'ose espérer qu'il y aura des personnes assez intelligentes, entre autres chez ces grands fabricants d'émulsions et d'appareils photographiques que vous venez de pointer, pour ne pas balayer tout cet acquis formidable - âgé de presque deux siècles maintenant - d'un revers de manche irréversible. Ca serait catastrophique pour la photographie, et pour nous tous. Car, encore une fois, la photographie classique comporte en elle des spécificités propres à ce qu'elle est en tant que médium : c'est à dire des sels d'argent déposés sur un support très concret...

- P.L. : Ce qui est très différent de l'image numérique, qui elle n'a pas de matérialité propre, si ce n'est par analogie de support avec l'argentique. L'image numérique reste donc une image immatérielle, virtuelle comme on dit.

- P.N.V. : Oui. Mais, cette virtualité lui est propre et lui permet de réaliser de nouvelles choses très importantes. Elle est principalement plus adaptée aux modes de communication électroniques contemporains. C'est en fait cela sa spécificité de nouveau médium. Donc ne confondons pas les capacités des uns et des autres. Car, je remarque que c'est ce que l'on fait trop souvent, en réalisant des mouvements à la hâte. Non, prenons notre temps pour réfléchir à tout ce qu'impliquent ces changements. Il faut redéfinir les vrais statuts, et cela prendra du temps. Mais je reste persuadé que ce sera bénéfique.

- P.L. : Vous êtes optimiste... Mais, imaginons que le pire advienne. C'est à dire, que l'on voit cesser un jour prochain cette production de produits et de matériels vitaux pour la photographie. Par exemple, que la diapositive couleur ou même noire et blanc cessent… Que l’infra rouge couleur, noir et blanc ou le film trait disparaissent ! Que pensez-vous qu'il faudrait faire ?

- P.N.V. : Tout d'abord, je crois qu'il serait bon d'agir très rapidement, avant que des décisions définitives et vitales soient prises de façon irrémédiable à l'encontre des technologies argentiques souvent fort complexes. Mais ensuite, il me semble que reviendrait de droit au milieu associatif et peut être même au institutions de l'état - pourquoi pas, puisque nous sommes tout de même dans le pays fondateur de la photographie, n'est-ce pas ? - de faire perdurer cette pratique argentique en produisant de façon peut-être plus artisanale, les matières premières et produits manufacturés nécessaires à cette action de sauvegarde. Mais, à dire vrai, je ne pense pas que nous devions en arriver là un jour. Certains produits même très scientifiques (donc marginaux), que les grandes marques ne veulent plus produire, sont déjà reprises par des pays de l'Est, comme la Pologne et la Chine par exemples ! Certes, la qualité est parfois moins certaine, mais avec l'expérience cela viendra...

- P.L. : Vous me semblez encore une fois bien optimiste, car j'ai rencontré dernièrement quelques photographes professionnels, et je les ai entendus dire, comme je le soulignais tout à l'heure, qu'une grande marque de produits photographiques, que je ne citerais pas ici, avait décidé d'arrêter la fabrication de certaines émulsions de laboratoire très spécifiques. Et j'ai entendu ces mêmes photographes se plaindre amèrement que la photographie argentique, telle que nous la connaissons aujourd'hui, n'avait plus que quelques années à vivre : peut-être trois à cinq ans, pas plus !... On est en droit de se poser des questions, non ? Et même de commencer à se poser des questions sur la façon d'agir. Peut-être en réclamant des comptes aux dirigeants de ces grands lobis ? Ne pensez-vous pas ?

- P.N.V. : C'est en effet possible. Vous savez, tout est possible ! L'avenir seul nous donnera des réponses satisfaisantes. Mais vous pouvez agir. Et c'est déjà ce qui est fait ici, non ? ! Nous en parlons tout au moins. La prise de conscience est nécessaire, oui, et en parler, c'est déjà poser la première pierre indispensable à l'édifice.

- P.L. : J'aimerais maintenant vous poser une dernière question Paul-Noël de Véga. Et, c'est un peu une question piège... Pensez-vous que cette photographie, que l'on nomme photographie numérique, soit en réalité de la photographie au sens où nous l'avons entendu jusqu'à aujourd'hui ?...

- P.N.V. : C'est en effet une question que l'on est en droit de se poser, tout au moins, que tout photographe est en droit de se poser. Dans l'absolu, je dirais que non. Ce n'est pas à proprement parler de la photographie au sens ou nous l'entendons depuis plus d'un siècle. Et cela va sans aucun doute en surprendre quelques-uns, voire même en choquer. Mais, vous ne m'avez certainement pas posé cette question sans arrière pensée...

- P.L. : Non, en effet. Mais pourquoi n'est-ce pas de la photographie d'après vous ? !

- P.N.V. : Comme vous le faisiez remarquer précédemment, il n'y a pas de matérialité dans le numérique. Et, c'est là, me semble-t-il, qu'il y a souvent confusion face à l'image numérique, face à cette pseudo image pixellisée par les moyens informatiques modernes. Car il n'y a en vérité pas d'image au sens photographique du terme. Il n'y a pas de graphie (sauf, comme vous le disiez, par analogie à l'ancien médium, lorsqu’on image les algorithmes mathématiques par l’intermédiaire d’une imprimante par exemple). Mais, il y a par contre, génération de photons, c'est à dire de lumière, comme dans la vidéo par exemple. Tout cela est assez simple et assez complexe à la fois... On devrait maintenant parler, non plus d'images photographiques, mais de photogénération d'images ou d'images photo-générées. Nous entrons - déjà depuis un certain temps d’ailleurs - dans une nouvelle ère fascinante, où tout s'opère à l'échelle de la lumière, voyez-vous ? Mais, nous n'avons pas encore vraiment conscience de ce nouveau support de communication : c'est une révolution...

- P.L. : Je vous remercie Paul-Noël De Véga pour votre participation amicale à ce premier entretien. Et je vous dis à très bientôt.

Décembre 1999.