Cuba fut pour moi un voyage peu ordinaire : comme une rencontre. Une de ces rencontres qu’on ne fait qu’une fois dans sa vie… Peut-être parce que l’air, la lumière, les couleurs, la nature, la ville, la culture aussi, mais surtout les gens, tout est différent… Et que sans doute, les émotions rencontrées sont elles aussi différentes et nouvelles ! C’est donc le territoire de l’intime que j’ai spontanément photographié à Cuba. Le lieu des échanges et de la vie. J’ai cherché à capter – comme je le fais toujours, aussi avec mes modèles – ce que les gens m’offraient de plus précieux : leur monde intérieur, leur personnalité, leur intimité. Je ne suis capable de faire mes photographies qu’avec cette matière là !... Ces images sont donc le reflet précieux d’un moment de leur vie personnelle inscrit dans l’histoire de leur « Révolution »…
Mais, si ces photographies sont avant tout le fruit d’une approche « humaniste », elles sont aussi celui d’une vision poétique. D’autres images faites en même temps, au court du même voyage, plus formelles mais tout aussi poétiques, auraient pu être le sujet de cette exposition sur Cuba… Car, je ne consacre pas tout mon travail à ce thème de l’humain. Je suis en effet avant tout un photographe scientifique qui exerce son métier de façon pragmatique dans une grande institution. Mais, la plupart de mes travaux personnels sont eux davantage portés par des visions intérieures se rapportant au corps, au mouvement, aux formes (géométriques), aux rythmes, mais aussi à la représentation du réel, de la lumière et du temps. Ce sont généralement d’abord les images mentales qui s’offrent ou s’imposent à moi dans ces projets personnels, pas le monde extérieur, qui lui ne me sert que de support (le réel est nécessaire à tout photographe…), et parfois de base à l’inspiration.
Mais pour Cuba, toutes poétiques qu’elles soient, les images que j’ai choisies de présenter sont aussi très ancrées dans la réalité vivante. Il y a les personnes rencontrées, leurs activités, leur misère, leurs sourires… Et tout une ambiance, qui est celle de leur vie, de leur activité et de la ville où ils habitent. Car, c’est cela que je désirais montrer avant tout de ma courte expérience cubaine. Parce que c’est cela aussi qui m’avait le plus marqué au retour : leur sérénité, leur grand courage face à un tel dénuement…
Je suis donc allé à la Havane en 2003 pour rejoindre un ami voyageur : Alexandre Mourot, créateur du site de voyage « Uniterre ». Il m’a fait découvrir pendant deux semaines cette île étonnante et très attachante, qu’il connaissait si bien. J’en ai rapporté des vues souvent troublantes, parfois émouvantes, représentant la vie des gens, les enfants rieurs, les cueilleurs de tabac brulés par le soleil. Mais aussi, les vieilles ruelles animées près du port de la Havane, le marché aux oiseaux du dimanche matin et ce que l’on appelle là bas la « religion », ainsi que des vues montrant ces jeunes filles de quinze ans, qui fêtent fièrement à la vue de tous ce jour traditionnel de leur anniversaire, en arborant librement dans les rues et sur les places leurs plus belles parures…
Ce fut un plaisir inoubliable de rencontrer tous ces gens si souvent simples et souriants malgré leur pauvreté et de découvrir in vivo, grâce aux constantes attentions d’Alexandre Mourot, et à la bienveillance de quelques amis cubains, ce monde si questionnant pour moi...
Cette exposition : « Les enfants de la Révolution », a été crée et montrée pour la première fois en avril 2005 à Palaiseau. Les vues présentées sont des images argentiques réalisées en différents formats sur papier traditionnel noir et blanc et couleur. Deux invités participent à l’exposition : Alexandre Mourot, avec ses photographies en couleur de l’île et Christelle Guénot, avec les dessins de son carnet de voyage réalisé à Cuba presque à la même période que mes photographies. De ce fait, vous y reconnaitrez peut-être parfois les mêmes personnages…
Philippe Lavialle (04/03/07).