L’art moderne s’est presque toujours penché vers la construction de formes novatrices. Cependant, l’important n’est pas réellement dans la forme elle même, mais davantage dans ce que nous mettons à l’intérieur de la forme, dans l’esprit que nous lui insufflons et finissons par lui imposer. Si ce que nous incluons dans la forme est vulgaire, vicieux ou pernicieux, la forme deviendra elle-même vulgaire, vicieuse ou pernicieuse. Tout au moins, elle en prendra l’apparence et le chemin. Si au contraire, nous lui insufflons la beauté, l’harmonie et la Vie, elle reflètera la beauté, l’harmonie et la Vie. C’est cela construire des formes novatrices. Le reste après ça, n’est plus qu’anecdote ou pire : destruction ! Et nous savons combien il est évidemment bien plus difficile de construire que de détruire !...
L’Artiste (avec un grand « A ») est justement un constructeur, un transformateur… Et cette transformation qu’il réalise n’est pas anodine ni triviale. Car c’est à l’aide d’énergies profondément ancrées en lui, qu’il opère la matière. Mais de quelle nature sont ces énergies ?
Au cours d’un long processus, par la pensée, le sentiment, mais aussi à travers le désir et la volonté, l’artiste permet à cette matière de muter… Tout est alors possible : transcender ou avilir ce qu’il transforme ! Ce choix lui revient…
L’actualité, dans le domaine de l’art contemporain, est à la transgression de la nature des choses qui nous entourent !... Aucune loi ne semble s’y opposer ni même bien évidemment l’interdire !... Et c’est en effet la mode de défigurer, d’enlaidir, de bafouer toutes choses…
En cela, Philippe Lavialle est une figure anachronique et décalée dans son époque… Se référant à une longue tradition artistique, ses Visions du monde, de la nature, du corps ou de la Vie, l’ont depuis toujours amené à respecter et à élever cette matière première au rang du « Sacré »… La beauté, la joie, l’harmonie sont ses références. Il ne cherche pas à créer des « monstres » !... Et c’est cette vision toute personnelle et hautement spirituelle qu’il tente de nous faire partager… Car pour lui, qui se débat dans ce monde magmatique en complète désagrégation, où les pratiques de désacralisation, d’avilissement, de transgression et de destruction ne sont dans cet art conventionnel que banalité, facilité et perversités (car il faut bien avouer qu’il y a là d’énormes couches de sédimentations pathologiques incrustées dans ces pratiques), l’Art, le seul qui ait un sens pour l’humain, selon notre auteur, n’est pas celui qui nous offre simplement de l’émotion (le plus souvent d’ailleurs, émotion plus ou moins respectable…). Il est au contraire celui qui, contre vents et marées, tente d’éclairer et d’élever la conscience de l’esprit et l’âme humaine au rang de l’insondable !...
Justement, et à l’instar de Gaston Bachelard, qui rêva sur l’Eau et la matière, ne serait-il pas question ici - à travers par exemple ces très colorés « Chromophotographies » de Philippe Lavialle - de rêver sur la Lumière ?... Car, pour lui, la lumière du visible seule ne suffit pas pour « photographier au-delà des apparences » ! D’ailleurs, plus qu’à la rêverie, n’est-ce pas à la méditation que nous engage plutôt l’auteur afin de nous conduire à l’invisible… Invisible qui n’est pas, à l’évidence, l’ombre inconnue de la grotte ni celle du labyrinthe, mais bien plutôt lumière intérieure, qu’il faut parvenir à capter puis à exprimer.
A partir de ce point de vue, le champ de la Lumière s’étend bien au-delà de la simple représentation des formes anecdotiques à laquelle nous a habitué, depuis ses débuts, une photographie quelque peu narrative. Le réel n’étant plus ici qu’un support à la naissance d’abstractions et à la contemplation. Celle à laquelle l’auteur nous convie comme à un partage, afin de découvrir une réalité qui va bien au-delà de toutes les formes du visible… Réalité à la fois quantique et poétique, rationnelle et émotionnelle, intellectuelle et spirituelle. Pour tout dire : « Supra réelle » !... Nous sommes alors plongés à travers une « représentation sublimée du monde, en ces régions de l’âme où l’intime rejoint l’universel » (*). Là où toute œuvre digne de ce nom est fondée sur des pensées et des sentiments très forts et où il n’est plus question de rien montrer, mais de donner à voir !
L’abstraction devient alors, comme une sorte d’alibi, un jeu pour capter la lumière dans ses filets. Mais, c’est également un rappel historique et comme un hommage aux précurseurs de l’Abstraction, qui tous, peintres, musiciens, danseurs, sculpteurs, furent inspirés, principalement au XIXème siècle, par les découvertes et les progrès scientifiques de leur temps, comme l’est aujourd’hui l’auteur de ces images incandescentes…
Et c’est enfin, par cet esprit en osmose avec la science et hors de toute naïveté feinte, comme un clin d’œil amusé et surpris projeté sur « le seul effet quantique visualisable », que nous révèlent ces merveilleuses photographies quasi picturales !... C’est en définitive en tout cela que réside l’innovation de l’expérimentateur, du créateur de ces œuvres…
Le réel pure est si complexe à appréhender, que la vision que nous pouvons en avoir ne peut être qu’illusion ! La réalité n’est donc qu’un mixe entre le réel inabordable, indéchiffrable, et la vision personnelle et subjective que nous en avons…
Alors, faut-il se fier à l’apparence du visible ?... Ne croire qu’en lui ? Ne voir que lui ?...
A travers la photographie, peut-on espérer accéder au-delà de ce visible si puissamment armé pour nous leurrer ?!... Question saugrenue s‘il en est !... Car, le réel est ce qui est visible. Il est également ce que montre la photographie, nous dit-on !... Comment donc puis-je penser, ne serait-ce qu’un instant, aller au-delà du réel visible ? En traversant les photographies !?... Et bien, pourquoi pas !?... Symboliquement au moins !... Faut-il croire alors aux miracles ?... Peut-on s’en inspirer ?... Ou bien, y-a-t-il autre chose ?...
Un fait est certain. Notre incrédulité fait que nous relions sans cesse notre regard au monde matériel visible… Au point que nous avons fini par penser - un peu comme Saint Thomas - que ce que nous ne pouvons toucher (du regard) n’existe pas !... Or, l’imaginaire produit du visible, à travers les images mentales… Et, c’est bien de cela dont il est question ici, dans le travail photographique de Philippe Lavialle : d’un « regard intérieur ». Mais, d’un regard qui aille encore plus loin, s’il est possible… Un regard qui aille à l’intérieur des choses… Et qui relie l’irréel au réel, l’intérieur des choses du monde à l’intime de l’être, en effaçant de notre conscience les frontières arbitraires, artificielles et factices qui désincarnent le monde et les choses. Un regard qui aille du réel à l’irréel (de l’objectif au subjectif) en ne créant plus qu’une simple « lisière », ligne très subtile et ténue entre ces deux mondes ; notion qui est d’ailleurs très familière à Philippe… Sans doute est-ce cela, la « Célébration de l’invisible »… Embrasure aveuglante qui nous ouvrira une voie sublime et royale pour accéder au mystère et à la beauté du vivant.
Voilà ce que signifie justement pour l’auteur approcher photographiquement l’invisible : c’est « appréhender le merveilleux du vivant à travers la limpidité de la Lumière, l’extraordinaire du Temps, la grâce du Mouvement et le mystère inaccessible de l’origine de la Vie !... » C’est cela la Vision !... Aborder les mystères du monde avec une perception « cosmique », qui pourrait-être celle d’un extra-terrestre… Toucher du doigt l’extraordinaire alchimie de la Vie, avoir en permanence à l’esprit, le sentiment du merveilleux qui nous entoure et nous porte… Car tout Art est lié au sentiment !... Et, le sentiment est porteur du Désir, flamme infime, pivot qui lui-même est source de toute Création… Partant de là, tout est dit !
